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Anne Parillaud, son père, son bourreau - Paris Match

Anne Parillaud publie un roman qui s’inspire de sa vie. Le personnage féminin des « Abusés » a été l’objet d’un inceste, comme l’ont été dans la réalité ses sœurs. Et elle ? Face à l’horreur, sa mémoire se dérobe mais le vertige persiste. L’actrice y devine la marque de l’amnésie traumatique, souvent à l’œuvre chez les victimes d’abus sexuels. Interview.

Paris Match. Ce premier livre, psychanalytique, “Les abusés”, est-il inspiré de votre vie ?
Anne Parillaud. Ce n’est en aucun cas une autobiographie. Je parle en revanche de violences et de perversités auxquelles j’ai pu être confrontée et de l’état de victime. Je ne suis pas quelqu’un qui se plaint, j’analyse. Chacun fait comme il peut.

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Mais y a-t-il eu un élément déclencheur de ce passage à l’acte littéraire ?
La mort de mon père. J’ai commencé à écrire le lendemain de son enterrement. Je crois que je n’aurais jamais pu le faire de son vivant. Je pensais savoir exactement ce que j’allais raconter et mon inconscient en a décidé autrement. Certaines choses que je n’avais pas prévues sont apparues.

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Il est d’abord question dans ce livre des abus sexuels d’un père. En avez-vous subi du vôtre ?
Abusée, je l’ai très certainement été mais, pour me protéger, j’ai choisi de rester dans le déni total. On appelle ça la mémoire traumatique. Dans le roman, certaines choses sont sorties inconsciemment, dans la réalité je ne me souviens de rien. Je suis obligée de passer par la fiction pour tenter de libérer ce qui est enfoui. Ce déni vient du fait qu’il n’était pas envisageable qu’un père puisse faire ça à sa fille. J’étais très proche de lui, je le respectais et l’admirais. Notre complicité, je n’ai jamais pu l’associer à un acte d’inceste. Si mon père a été mon premier “bourreau” et si j’ai refusé d’y croire, cela veut dire que, par la suite, je me suis positionnée comme quelqu’un qui n’a jamais jugé ceux qui lui faisaient du mal.

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Dans le roman, certaines choses sont sorties inconsciemment, dans la réalité je ne me souviens de rien.

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Une “victime coupable” ?
J’ai effectivement pu me demander si c’était de ma faute, si je l’avais “provoqué”, ce que vous font croire les pervers. Encore une fois je ne me souviens pas mais, à l’évidence, j’en ai tous les symptômes. Et forcément, je me dis qu’il y a eu un problème. Qu’est-ce qu’on m’a fait ? C’est peut-être imprimé en moi. Mais où ? J’aimerais que cela revienne, déferle. C’est presque plus violent de ne pas se souvenir.

Tout ce que vous décrivez, avec précision, vous ne l’avez donc pas vécu ?
Votre question est légitime. S’il ne s’était rien passé, je ne pourrais pas en parler de cette façon, même à travers un personnage. Je voulais être avocate, défendre l’indéfendable, comme si, au lieu d’accuser mon père, je voulais le sauver. Et je suis devenue actrice. Qu’est-ce que cela signifie ? Refuser d’être soi-même, vouloir passer sa vie dans la peau des autres, utiliser des intermédiaires pour exister et survivre.

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À partir du moment où l’on ouvre un dossier d’inceste au sein d’une famille, celle-ci explose sous la force de la gangrène.

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Ces abus dont vous ne vous souvenez pas, des membres de votre famille ont-ils pu les subir ?
Cela s’est dit. D’autres membres de ma fratrie, sœur et demi-sœurs, n’étaient pas dans le déni et ont parlé pour se sauver. D’entendre ça, il y a une dizaine d’années, m’a perturbée. Je me suis demandé comment, moi, j’aurais pu y échapper ? À partir du moment où l’on ouvre un dossier d’inceste au sein d’une famille, celle-ci explose sous la force de la gangrène.

Votre vie amoureuse en a-t-elle été influencée ?
Quand l’affect est dévié à la base au sein du cocon familial, c’est pour la vie. Je n’ai pas été capable de discerner le mal, j’ai pu être attirée par la complexité parce que c’était mon langage, mes codes. Après avoir écrit ce livre, je ne serais plus jamais la même.

Votre mère vient de disparaître. Était-elle au courant des agissements de son mari ?
J’ai commencé à écrire après la mort de mon père et le livre sort juste après le décès de ma mère. Ils ne l’auront pas lu. Comme s’ils ne devaient pas le lire et qu’ils me laissaient sans réponse avec mes doutes profonds. Quand, il y a une dizaine d’années, ma mère a été confrontée à la parole de mes sœurs, elle a répondu qu’elle n’avait rien vu. À ce moment-là, je lui ai demandé si elle pensait que c’était possible. Elle a nié, ce qui ne m’a pas aidée. Peut-être ne pouvait-elle pas imaginer le pire ou peut-être se protégeait-elle. Les mères qui ne reconnaissent pas le mal sous leurs yeux, qui ne sauvent pas leurs enfants sont souvent des femmes qui ont été abusées elles-mêmes ou mal-aimées.

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J'ai découvert que mon père avait été abusé lui aussi dans l’enfance.

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Votre mère entrait-elle dans cette catégorie ?
Elle a été injuste avec moi mais ce n’était pas de sa faute. Elle a écrit un livre, il y a vingt ans, non publié mais que j’ai lu, en larmes. Placée dans un orphelinat religieux, elle a transféré l’amour maternel qui lui manquait sur la mère supérieure. Mais elle avait 8 ans quand sa propre mère l’a arrachée à cet attachement affectif : parce qu’elle pouvait enfin aider aux champs. Comment aurait-elle pu savoir aimer ? Par la suite, j’ai découvert que mon père avait été abusé lui aussi dans l’enfance. Voilà, c’est ce que j’ai voulu raconter : personne ne naît en se disant qu’il va devenir un pervers ou un pédophile. Ces actes sont condamnables, évidemment. Mais ceux qui deviennent des bourreaux sont souvent, au départ, des victimes. Ça n’excuse rien mais moi je veux en tenir compte quand on les juge.

Vos parents se sont séparés après s’être déchirés. La guerre de couple que vous décrivez s’inspire-t-elle de la leur ?
J’avais 12 ou 13 ans. C’était très violent physiquement mais surtout verbalement. J’ai été traumatisée par leurs crises, les horreurs que j’ai pu entendre, le manque de respect, en fait le manque d’amour. J’avais envie de disparaître. Je n’ai jamais compris que cela puisse se passer devant des enfants.

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Juliette, ma fille de 33 ans, a fini par me dire qu’elle ne le lirait pas. Le titre l’a déstabilisée.

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Votre enfance n’a-t-elle été que mal-être ?
J’ai l’impression de ne pas avoir été comprise, aimée. Ou alors mal. Quand j’ai quitté la maison je n’avais pas 16 ans. Qui laisse faire ça à sa fille ? Je suis partie avec un homme beaucoup plus âgé que moi. En fait je cherchais un père.

Vos enfants, Juliette, Lou et Théo, ont-ils lu votre roman ?
Mes fils, qui ont 21 et 19 ans, auront cette liberté mais j’aurai une discussion avec eux avant : sûrement que je suinte à toutes les lignes, que c’est une partie de mon âme et de mon inconscient mais c’est un roman. Juliette, ma fille de 33 ans, a fini par me dire qu’elle ne le lirait pas. Le titre l’a déstabilisée. Peut-être changera-t-elle d’avis. Curieusement je parle plus facilement à mes garçons qu’à ma fille. Parce que nous sommes des femmes et que je n’ai pas moi-même toutes les réponses à lui fournir. Inconsciemment, j’ai peur qu’elle veuille creuser et que cela ébranle la construction fragile d’un équilibre.

Avoir des enfants, leur donner l’amour que vous n’avez pas eu, est-ce que cela a pu vous sauver ?
Oui, parce que sans eux je pourrais rester dans ma bulle, vivre au jour le jour, sans règles, dans une forme de poésie anarchique. Mes trois enfants me rattachent au quotidien, à la réalité, ils m’ouvrent et me lient au monde. J’adore par-dessus tout être mère.

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J’ai la chance que mon métier soit un exutoire. Je mets tout dans mes personnages

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La sexualité est omniprésente dans votre livre. Qu’est-ce qu’elle représente pour vous ?
Un terrain révélateur de tout, des blessures, des déviances, des séquelles. Tout se joue là. Pour moi elle est indispensable au couple. Après, peut-être m’a-t-on appris que sexualité égale amour, je reviens aux racines du mal. Peut-être ai-je continué à me laisser facilement abuser, à croire que la sexualité me permettait d’exister. Or être possédée ne veut pas forcément dire être aimée.

Dans ce roman incandescent, vos deux personnages sont actrice et artiste, ce qui pourrait faire penser à votre histoire avec Jean-Michel Jarre. Est-ce un hasard ?
Je suis stupéfaite que vous pensiez cela. Je n’ai pas vécu avec un seul homme même si Jean-Michel est le dernier à avoir partagé ma vie qui soit connu. Ce n’est pas un récit ou un témoignage mais un roman.

Les événements personnels difficiles que vous avez vécus, les avez-vous surmontés grâce à une thérapie ?
Comme tout échec, celui de mon divorce a laissé des traces. Mais le véritable échec aurait été de ne pas rebondir. Est-ce que je suis allée voir quelqu’un ? Non. Je ne suis pas prête pour ça ou peut-être ai-je peur que tout remonte, surgisse. J’ai la chance que mon métier soit un exutoire. Je mets tout dans mes personnages.

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J’aime l’amour, j’aime être amoureuse

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Vous avez à chaque fois quitté les hommes. Pour fuir le bonheur avant qu’il se sauve ou par peur de l’abandon ?
Les hommes que j’ai aimés ont souvent eu un comportement de pygmalion. J’avais donc une position d’admiration et de soumission. Mais quand au fil du temps l’élève que j’étais se retrouvait au niveau du professeur, la rivalité s’installait, la boucle était bouclée. Je suis exigeante, je cours après des montagnes russes émotionnelles, je veux que la passion soit toujours au plus haut. Je ne quitte pas parce que je n’aime plus, mais pour que l’histoire folle ne s’abîme pas. Et puis, oui, j’anticipe, je maîtrise. Évidemment, la peur de l’abandon m’habite.

Mais vous n’avez jamais vécu sans homme…
Je ne sais pas être seule. Non, pardon, en réalité ce n’est pas du tout cela : j’aime l’amour, j’aime être amoureuse.

L’êtes-vous en ce moment ?
Oui. D’un homme qui n’est ni artiste ni connu.

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J’ai toujours imaginé que “Les abusés” serait un film. Je vais l’adapter, le réaliser et devenir Adélie, l’héroïne du roman

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Vous avez mis six ans pour écrire ce roman. Est-ce une forme de libération ?
Pour l’instant, j’ai peur. Je ne peux pas me cacher derrière un rôle comme au cinéma. Ceux qui n’aimeront pas ce livre ne m’aimeront pas car je suis liée de manière intrinsèque à cette histoire. C’est une forme de catharsis, même si je ne l’ai pas écrit pour me soigner ou me réparer. Une libération ? Des lignes vont bouger, mais lesquelles ? Je ne sais pas encore.

Avez-vous pardonné pour trouver l’apaisement ?
Même si, dans ma famille, on a pu me pousser à accuser en me disant de regarder les choses comme une victime, d’être lucide, je ne l’ai pas fait. Si j’avais dû en passer par là, si je me souvenais de tout, je serais de toute façon allée vers le pardon qui est la seule réponse face au mal.

Vos rôles au cinéma ont été, comme vous le dites, des défouloirs. Quel sera le prochain ?
Je me suis prise au jeu de l’écriture de façon obsessionnelle et je recommencerai, mais j’ai toujours imaginé que “Les abusés” serait un film. Je vais l’adapter, le réaliser et devenir Adélie, l’héroïne du roman. C’est un rôle puissant comme on en propose rarement. Comment ne pas vouloir l’incarner ?

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« Les abusés », d’Anne Parillaud, éd. Robert Laffont, 374 pages, 21 euros.

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