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Verra-t-on du deepfake dans les fictions françaises en 2021? | Le HuffPost - Le HuffPost

Montage Le HuffPost

George Clooney pourrait-il devenir serveur au Mistral en 2021 grâce à la technologie? "L’avoir en deepfake ou en physique ça n’a pas la même valeur”, répond la production. 

TÉLÉVISION - Verra-t-on un jour George Clooney dans “Plus belle la Vie” ou Ryan Gosling dans “Demain nous appartient”? Si à première vue cette question paraît fantaisiste, elle l’est beaucoup moins au regard du développement du deepfake ces derniers mois.

Cette technique basée sur l’intelligence artificielle consiste à substituer numériquement le visage d’une personne par celui d’une autre. Un procédé qui a connu un réel essor avec l’application chinoise Zao permettant de se transformer en Leonardo Di Caprio en quelques secondes. 

“Plus belle la vie” pionnière en France

Depuis cette application grand public au résultat plutôt aléatoire, la technologie a réellement progressé au point de s’inviter dans le monde de la télévision. En novembre dernier, “Plus belle la vie” est la première fiction française à s’immiscer dans la brèche un peu hasard. En pleine pandémie de coronavirus, l’actrice Malika Alaoui est cas contact. Pour ne pas stopper toute la production du feuilleton, les équipes ont recours à une doublure, Laura Farrugia, sur laquelle on “greffe” numériquement le visage de l’actrice absente.

“Initialement pendant le confinement j’avais eu cette réflexion: si un jour on a un pépin comment fait-on? Et on avait pensé au deepfake”, confie au HuffPost Géraldine Gendre, productrice du feuilleton à succès. “Quand le cas s’est présenté, nous étions coincés et pour assurer la livraison des épisodes à France 3 nous n’avons pas eu d’autres choix que de remplacer notre actrice sur certaines séquences. On aurait pu tourner de dos avec une doublure mais ça n’aurait pas aussi bien rendu à l’écran. Le deepfake s’est avéré très utile dans cette situation.” 

Au total quatre séquences ont été réalisées grâce à cette technique. Des centaines d’images des deux actrices ont été collectées pour reconstituer une palette d’expressions du visage et ainsi établir la correspondance parfaite. Après neuf jours de travail, le résultat est bluffant comme vous pouvez le revoir ci-dessous.

Ce premier deepfake dans une série en France, on le doit à Yanis, alias “French Faker”. Cet ancien informaticien toulousain a découvert le procédé en septembre 2019 et a décidé de le tester lui-même en créant son propre algorithme. À ses débuts, il s’entraîne en réalisant des montages humoristiques, imaginant Marine Le Pen voilée en train de présenter le JT, ou Emmanuel Macron dans la peau de Jean Dujardin dans “OSS 117”. Des parodies vite remarquées sur les réseaux sociaux au point qu’il sera contacté par TF1 pour réaliser des deepfakes dans l’émission “C’est Canteloup”, transposant le visage de Donald Trump ou Nicolas Sarkozy sur celui de l’humoriste.

Mieux que les effets spéciaux “traditionnels”

Le deepfake est basé sur le machine learning: c’est-à-dire que l’ordinateur va apprendre par lui-même à remplacer le visage en question au fur et à mesure qu’on lui présente des modèles. 

Un exemple concret montre à quel point cette technique pourrait révolutionner le monde du cinéma. En 2019, Netflix sort “The Irishman” dans lequel la production a eu recours au rajeunissement numérique (De-aging) pour Robert De Niro. Une astuce qui permet de modifier l’apparence des acteurs après le tournage grâce à des effets spéciaux. Problème: la technique nécessite beaucoup de temps et le résultat s’avère parfois décevant comme dans le cas de “The Irishman”. 

En août dernier, le Youtubeur Shamook s’est amusé à tester le deepfake sur De Niro. En collectant plus de 10.000 images du visage de l’acteur dans d’autres films, il a réussi à améliorer le rendu final de l’œuvre de Martin Scorsese, comme vous pouvez le voir ci-dessous.

“Ces effets-là qui coûtaient des millions d’euros et nécessitaient parfois des mois de travail peuvent désormais se faire finalement en quelques heures et pour des sommes dérisoires”, résume French Faker qui peut réaliser quotidiennement six sketchs pour “C’est Canteloup”. “Cela va permettre aux productions qui n’avaient pas de budget pour faire de la 3D de faire des effets en deepfake. ”

Adapter les tournages au deepfake

Si la technique semble s’améliorer au fil des mois, elle n’est pas encore parfaite pour le moment. Ainsi, tous les visages ne peuvent pas être reproduits avec 100% de réussite, comme l’explique French Faker.

 “Le deepfake est basé sur des images sources (déjà existantes). Si l’on cherche à imiter Vladimir Poutine avec un grand sourire ce ne sera pas une image que l’on pourra bien reproduire car Poutine ne montre que très rarement ses dents. C’est une des contraintes que je rencontre tous les jours avec ‘C’est Canteloup’. De plus, si on veut faire un deepfake réussi il faut idéalement choisir deux personnes qui ont une forme de visage similaire.”

Autre contrainte, la réalisation d’un deepfake demande des adaptations au moment du tournage pour rendre l’incrustation plus aisée. Dans le cas de “Plus belle la vie”, French Faker confie avoir envoyé une série de recommandations à la production. Cela passe notamment par la suppression des plans de profil et des plans très sombres, ou encore l’absence de cheveux devant le visage.

Mais réécrire quelques lignes du scénario n’est pas inédit dans des programmes de fiction comme “Plus belle la vie”, rompus aux aléas sur les tournages. ″Dans la vie d’une série quotidienne vous imaginez bien qu’on a déjà eu des rhumes, des grippes, des jambes cassées”, liste Géraldine Gendre. “On arrive toujours à trouver des astuces scénaristiques. Par exemple, plutôt que filmer une rencontre dans un bar, on va la filmer à l’hôpital, ou la faire raconter par d’autres personnages. On peut réécrire beaucoup de choses pour raconter une intention.”

Des “zones grises” éthiques

Au-delà de ces questions d’ordre technique, le deepfake pose des problèmes moraux et éthiques. Les acteurs eux-mêmes accepteront-ils d’être remplacés au montage et de devenir de “simples” doublures? Dans le cas de “Plus belle la vie”, les deux actrices concernées par cette situation peu banale ont été consultées en amont et ont donné leur accord, assure la production au HuffPost. Mais tous les acteurs accepteront-ils de jouer le jeu?

Par ailleurs, cette technique offre la possibilité aux réalisateurs de faire ressusciter des acteurs décédés. Une prouesse qui existait certes déjà à Hollywood (“Fast and Furious 7”, “Gladiator”...) mais dont le coût demeurait très élevé. Le deepfake amplifiera-t-il ce phénomène? Faire revivre Marilyn Monroe sera-t-il accepté par le public? 

Des questions qui restent pour l’heure sans réponse, d’autant que le deepfake jouit encore d’une très mauvaise réputation sur la toile en raison de ses usages inquiétants. La technologie est utilisée par certains internautes mal-intentionnés qui placent le visage de célébrités sur des contenus pornographiques. En 2019, ces pratiques représentaient 96% des vidéos produites selon un rapport de Deeptrace, une start-up d’Amsterdam. Autant de raisons qui poussent Géraldine Gendre à rester prudente pour l’heure sur le sujet.

“Je trouve ça génial ce que l’on a pu faire dans “Plus belle la vie” mais je le vois comme un dépannage pour des cas extrêmes. Cela reste des effets spéciaux et nous essayons d’être une série naturelle, nous n’avons pas vocation à être une série de science-fiction. Je ne pense pas que cela rentrera dans une démarche artistique car nos métiers sont basés sur l’humain. Dès lors qu’une personne aura fait le deepfake de George Clooney, derrière cela sera galvauder: avoir son avatar ou l’avoir en physique ça n’a pas la même valeur.” 

Pour l’heure les productions françaises semblent observer ce nouveau phénomène sans y prendre part. Sollicitée par Le HuffPost, TF1 confie de son côté ne pas avoir eu recours au deepfake dans ses fictions et ne l’envisage pas pour l’heure pour ses prochains tournages.

French Faker est beaucoup plus optimiste quant à l’avenir de cette technique en France. Il confie d’ailleurs travailler sur un autre projet de deepfake confidentiel pour une série française. Et cette fois-ci ce ne sera pas pour remplacer en urgence une actrice en raison du coronavirus.

“Certes le jeu d’acteur primera toujours, mais ça n’est pas impossible que l’on arrive à un stade ou l’on pourrait soi-même s’intégrer dans les films en tant que héros ou héroïne.” Ou pourquoi pas constituer soi-même le casting de son film ou sa série préféré(e)? 

À voir également sur le HuffPost: Avec le deepfake, un musée redonne vie à Salvador Dali

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