C’est une exposition qui résonne drôlement avec l’actualité. En plein procès des attentats du 13-novembre, l’École nationale supérieure des Beaux-Arts expose depuis le 8 septembre 41 dessins de Georges Wolinski, ancien dessinateur de Charlie Hebdo, assassiné le 7 janvier 2015 par les frères Kouachi. Des œuvres offertes par sa compagne, Maryse Wolinski, qui iront rejoindre le fond de 25.000 dessins des Beaux-Arts, mais seront surtout d’abord montrées, ce qui importait au premier chef à sa veuve : « Je suis détruite complètement par ce qui s’est passé… J’ai perdu mon amour. D’où le fait de perpétuer cet esprit-là », nous dit celle qui veut aussi créer une Maison du dessin de presse et du dessin satirique.
Maryse Wolinski, qui a effectué le choix des dessins avec sa belle-fille, a choisi pour son don l’ancienne école de son mari. Georges Wolinski, comme l’explique l’ex-plume de Charlie gravement blessé le 7 janvier 2015, Philippe Lançon, « n’était pas un bon élève », et avait choisi cette école qui prenait sans exiger le bac, qu’il n’avait pas passé. Il n’a pas non plus terminé les Beaux-Arts, qu’il a dû quitter en cours de route pour aller faire son service militaire, en pleine guerre d’Algérie.
« Décidément l’art contemporain me débecte »
La salle d’exposition consacrée à Wolinski est petite, mais les œuvres sont drôles et impertinentes et offrent l’occasion de s’interroger sur le monde de l’art contemporain. Avec lequel Wolinski a la dent très dure. « Son approche de l’art contemporain est réactionnaire », dit carrément de lui Emmanuelle Brugerolles, l’une des commissaires de l’exposition.
Prenons par exemple cet ironique Hommage à Arman, peintre et sculpteur du Nouveau Réalisme connu pour ses « accumulations » de fourchettes, de chars, de Ferrari ou de drapeaux. On l’y voit face à Monica Bellucci, qui lui lance : « Arman, n’en as-tu pas marre de casser, salir, empiler, accumuler, cabosser, entasser… ». Et l’artiste de répondre : « Que veux-tu que je fasse d’autres, Monica ? » Ou prenons encore cette planche pleine de texte, où Wolinski se déchaîne contre Boltanski, qu’il résume à un « flot vaseux de paroles alcoolisées, de lieux communs séniles », avide d’argent : « Décidément l’art contemporain me débecte. Boltanski est un malin, il n’est pas bête, il a compris cette époque où le fric des bonus permet d’acheter de la provocation. »
Jeff Koons, son bouc émissaire
Tout, dans l’art contemporain, était à jeter, aux yeux de Wolinski. Il n’y avait pas d’exception, selon sa femme. Il se moquait même de son ami César, avec lequel il partait volontiers en voyage, en transformant par exemple son Pouce monumental de 12 mètres en une gigantesque bite admirée des spectatrices. Encore un pied de nez aux ego des artistes…
Pour Maryse Wolinksi, sa détestation de l’art contemporain a commencé il y a quelque 30 années, à la Fondation Cartier. « Je me souviens qu’on est entrés, il y avait une sorte de toile avec laquelle on nettoie des parquets, posée sur une espèce de perche. Et comme c’était la première œuvre qu’on voyait, il a commencé à dire “c’est pas possible, je ne comprends pas, y’a rien à comprendre”. Il disait que “l’art c’est le beau”, et là, pour lui, il n’y avait rien de beau. »
Son principal bouc émissaire était sans conteste Jeff Koons. S’agissant de cet artiste américain au style kitsch qui n’a eu de cesse de produire des chiens ou des lapins en acier imitant de vulgaires ballons, Wolinksi était intraitable. « La presse est remplie d’articles sur Jeff Koons. Pas un seul journaliste n’ose dire que c’est de la merde. Jeff adore Manet, Courbet, mais il sculpte d’énormes chenilles gonflables. Ça plaît à ce crétin de Pinault. Avant, les riches aimaient l’art pompier. Aujourd’hui ils font les malins en achetant du scandale à prix d’or. Le problème c’est que le scandale n’est plus scandaleux », écrit-il en 2008, dans Charlie Hebdo.
Témoignage d’une époque
« Il disait qu’il “s’arrêtait à Ingres”, ça fait vieux con », se moque Maryse Wolinksi, qui ne pouvait s’empêcher de se délecter de ses espiègleries avec tendresse. « On travaillait dans notre appartement, il aimait bien me voir à mon bureau, et je le voyais aussi à sa table à dessin. Il avait toujours un petit sourire en coin quand il dessinait… Ou ses yeux qui brillaient… Je me disais “qu’est-ce qui va nous sortir… ?”. », se souvient-elle, un sourire dans la voix.
Il y a certaines choses cependant que sa compagne ne cautionne pas, et qui ne manqueront pas d’interroger les spectateurs, et surtout les spectatrices. L’exposition regorge en effet de femmes nues, parfois tournées en dérision. Maryse Wolinksi se souvient de danseuses d’un film de Mathieu Amalric, qualifiées de « pétasses », ce qui l’avait fait bondir. « Cette provocation je ne la supportais pas, je suis tout à fait MeToo, je suis une féministe », nous dit-elle.
Est-ce que Wolinski pourrait toujours dessiner de la même manière dans cette ère post-MeToo ? Peut-être, peut-être pas, hésite sa veuve. Ce qui est sûr, selon Emmanuelle Brugerolles, c’est que certains dessins vont « ouvrir le débat dans l’école. Ce sont des dessins qui témoignent d’une époque. D’une insouciance et d’un plaisir de vivre. Je le sauve comme ça. »
- Ecole des Beaux-Arts de Paris. 14 rue Bonaparte, Paris 6e. Jusqu'au 3 octobre. Du mer. au dim. 13h-19h – Fermé lun. et mar. Billetterie responsable : 2 euros, 5 euros ou 10 euros selon votre choix.
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